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http://www.vaq.qc.ca/vaq/kaiserfrazer.htmUNE DERNIÈRE ATTAQUE CONTRE DÉTROIT: LES KAISER-FRAZER.
par Gilbert Bureau
Le seul véritable assaut sérieux entrepris par un constructeur d'automobiles contre les "grands" de Détroit fut celui de la KAISER-FRAZER. Ce fut le seul qui osa s'attaquer de front à l'establishment automobile du Michigan. La réputation et la fortune de KAISER lui furent acquises lors des grands projets de construction américaine tels que le barrage Hoover et les Liberty Ships qui contribuèrent à la victoire de l'Amérique contre l'Allemagne nazie.
FRAZER, lui débuta comme mécanicien chez PACKARD où il gravit vite les échelons et devint président de WILLYS et de GRAHAM-PAIGE, qui furent aussi très actifs dans l'industrie de guerre. Ces deux hommes d'action formèrent la compagnie KAISER-FRAZER au mois de juillet 1945 afin de contrebalancer l'équilibre de l'industrie automobile d'après-guerre. Les survivants de la crise économique se nommaient alors: FORD, GM, CHRYSLER, NASH, HUDSON, STUDEBAKER et PACKARD. CROSLEY était tellement petit (au vrai sens du mot!) que la compétition ne s'en souciait guère...
N'ayant fabriqué aucune automobile avant la guerre, KAISER-FRAZER dut débuter à partir de rien. Il y aurait deux marques différentes: la KAISER de facture plus populiste et la FRAZER pour les mieux nantis. Après avoir expérimenté sans succès, un système de traction-avant et une suspension de type "barres de torsion", la compagnie opta pour une voiture plus conventionnelle avec le moteur et ses composantes à l'avant. Le fameux styliste Howard "Dutch" Darrin présenta un cahier de dessins fort avant-gardistes pour l'époque. On se contenta d'en diminuer les lignes trop futuristes et de n'en garder que des projets plus pratiques. Les KAISER-FRAZER de cette époque (1946-48) étaient quand même beaucoup plus modernes que leurs contemporains. Le style dégagé des lignes de la carrosserie en faisait des voitures très aérodynamiques. FORD mettra trois ans à les adopter sur ses propres véhicules. Avec un empattement de 123 pouces, les KAISER-FRAZER étaient beaucoup plus spacieuses et surtout très confortables.
Afin de sabrer dans les dépenses, la compagnie adopta un six cylindres CONTINENTAL industriel qui développait 100 CV. L'interchangeabilité des pièces de ce type de moteur était un avantage important pour les futurs clients de la marque. L'équipe de KAISER-FRAZER réussit à produire sa première voiture en janvier 1946. Le public lui fit un accueil chaleureux et les commandes commencèrent à affluer...tellement que l'on décida d'acquérir l'immense usine de Willow Run au Michigan qui avait longtemps servie à la fabrication des gros bombardiers. C'était alors la plus grande usine du genre en Amérique! Dès juin 1946, la production fut finalisée et les premières véritables KAISER-FRAZER furent offertes à l'automne de cette même année. C'était en fait les nouveaux modèles de 1947.
KAISER-FRAZER avait choisi le bon moment pour se lancer en affaires car les gens manquaient de voitures et ils achetaient tout ce qui pouvait rouler! L'austérité de la période de guerre les avait contraint à utiliser leurs automobiles des années trente jusqu'en 1947. En 1947, KAISER-FRAZER vendirent 139,000 voitures! Approximativement le même chiffre fut maintenu pour 1948 alors que les KAISER-FRAZER bénéficièrent d'un léger lifting maison. On peut donc dire que ce n'est qu'à partir de 1951 que KAISER FRAZER changea complètement le style de ses voitures.
Toujours en 1947, la compétition avait elle aussi le vent dans les voiles: Raymond Loewy dessina de très belles STUDEBAKER tandis que le "step down" de HUDSON allié à la qualité de sa mécanique légendaire attirait de plus en plus de clients. Chez NASH les modèles "Airflytes" ne laissaient personne indifférent, tandis que les trois grands de Detroit raffinaient les lignes aérodynamiques de leurs nouveaux modèles. Les ventes des KAISER-FRAZER atteignirent quand même 120,000 entre 1949 et 1950. C'est à ce moment que le styliste Darrin proposa une toute nouvelle voiture à KAISER-FRAZER. Le modèle de 1951 fit beaucoup de vagues! Et avec raison car on doit avouer que ce fut là une des plus belles voitures jamais fabriquée par KAISER-FRAZER. Elle remporta même le premier prix au grand concours d'élégance de Monte-Carlo en juin 1951!
C'était la première fois qu'une automobile contemporaine américaine y était ainsi primée! Ce fut sans aucun doute, une des plus jolies voitures américaine de cette époque. On avait mis au rancart les ailes et les caisses droites comme des piquets. On avait opté pour des lignes très fluides caractérisées par la forme du pare-brise en "cœur"... signé Darrin. Des intérieurs spacieux offerts en plus de 100 coloris (certaines KAISER avaient des banquettes en peau de boa... ce qui ferait frémir les écolos de 1999!). D'autres sortaient d'usine avec un toit recouvert de bambou... La fameuse KAISER DRAGON fut la reine de cette lignée moderne et avant-gardiste.
KAISER MANHATTAN 1952, Cliquez pour agrandir
Il y eut aussi des FRAZER en 1951, mais très peu furent fabriquées, ce qui provoqua le départ de Joe Frazer qui rompit alors ses relations avec HENRY KAISER. Lorsqu'on ajouta un modèle "compact" (la HENRY J) en 1951, les ventes atteignirent 231,608 unités. Les KAISER-FRAZER étaient de très bonnes voitures, et elles se comparaient facilement à celles de la compétition. Elles n'avaient toutefois qu'un seul problème: chez KAISER-FRAZER on ne pouvait obtenir de moteurs V-8... Le bon vieux six cylindres de 226 pc. ne pouvait égaler les puissants V-8 des autres constructeurs. A partir de 1952, les ventes commencèrent à décliner. Il est bon de mentionner que la compagnie fabriquait aussi des voitures à Toronto à cette époque (1950-51)! Si vous possédez une KAISER "made in Canada", vous avez là un modèle assez rare! Seulement 57,265 véhicules furent alors vendus. En 1953,la production tomba à 46,398 unités.
Et pourtant les KAISER étaient toujours de très jolies voitures... mais le public craignait de se retrouver avec une "orpheline" sur les bras lorsqu'arriverait le temps de l'échanger pour une neuve. On peut aussi blâmer le conformisme des nord-américains du côté yankee autant que canadien, qui n'osaient jamais expérimenter autre chose que les sempiternelles produits des trois grands. La CHEVROLET 1952, qui fut la voiture la plus vendue dans les années cinquante témoigne avec éloquence de ce conformisme social. On voulait des autos plus modernes mais on n'osait pas les acheter... On préférait les objets stéréotypées: la petite maison de banlieue, les électroménagers modernes et fonctionnels, et la même FORD ou CHEVROLET que les voisins de la rue. Celui ou celle qui roulait en NASH, STUDEBAKER, HUDSON ou KAISER était plus marginal.
Et comme la marginalité n'a jamais été le lot de la société nord-américaine, vous avez là la réponse toute trouvée aux malheurs des "indépendants" de l'industrie automobile. En fait ce ne sont pas les "trois grands" qui ont tué les "indépendants" comme KAISER-FRAZER, c'est un mélange de rejet social et de mauvaise administration financière. Le mot marketing n'existait pas encore: la mise en marché de la HENRY J et la HUDSON JET en sont la preuve évidente. L'industrie automobile était maintenant gérée par des corporations anonymes. La KAISER-FRAZER fut la victime type de cette nouvelle forme de gestion. Malgré l'addition d'un "compresseur" ("super-chager") à l'anémique six cylindres Continental et malgré la puissance accrue, les KAISER ne se vendaient pas mieux.
Les modèles de 1954 avaient de quoi faire rêver: la calandre "à la BUICK" et les feux arrières "à la CADILLAC-DAGMAR" ajoutés à une carrosserie profilée en firent une voiture unique en son genre. L'intérieur luxueux des KAISER MANHATTAN de cette année-là fit des jaloux du côté de Détroit. On présenta aussi cette mignonne KAISER-DARRIN en version sport qui ne réussit malheureusement pas à attirer la clientèle souhaitée. Juste retour des choses la DARRIN est aujourd'hui une voiture très recherchée par les amateurs de la marque.
10,097 KAISER trouvèrent preneur en 1954. C'était vraiment le début de la fin pour Henry Kaiser qui ne sembla pas trop se soucier de sa situation financière pour autant. Il était de toute évidence TRES riche...!Seulement une centaine de voitures furent fabriquées en 1955 avant que l'usine ne ferme ses portes. Henry Kaiser déménagea ses équipements en Argentine où ils furent utilisés pour la production de la KAISER CARABALA jusqu'en 1962. Lors de l'exposition universelle à Montréal en 1967, je fus très surpris de voir quelques KAISER CARABALA, toutes noires et rutilantes de chromes, stationnées derrière le pavillon argentin. Après tout, ces voitures diplomatiques n'avaient que cinq années d'usage! C'était déjà à l'époque, des "autos usagées" passablement rares.
Ma première voiture "usagée" fut une KAISER MANHATTAN SUPER-CHARGED 1954 que j'achetai pour $75 d'un hullois en 1960. Une voiture qui avait six ans et dont les formes "langoureuses" me donnaient le vertige rien qu'à la regarder! Quelle voiture extraordinaire que cette KAISER! Des fois, je me levais la nuit pour l'admirer dans notre entrée de garage. Elle avait tout de même bonne mine à côté de la grosse MONARCH turquoise et blanche de mon paternel! Dans sa robe rose saumon et charcoal juchée sur ses pneus blancs délavés, elle se prenait pour une grande sportive en quête de sensations fortes. Je l'ai tellement astiquée que son capot en devint tout mat...Même à 50 cents le gallon impérial, le moteur Continental accouplé à un "super-charger" monstrueux, consommait autant que la grosse BUICK V-8 PITCH DYNAFLOW de notre voisin! Ce fut la voiture de ma jeunesse, et lorsque je la troquais pour une MGA roadster, je l'ai tout de suite regrettée...Quelques années plus tard, j'achetais une KAISER 1951 bleue poudre que j'utilisais comme véhicule de tous les jours, en hiver comme en été! Ma dernière KAISER, toujours de 1951,était toute noire et équipée d'une transmission automatique. Elle avait été achetée neuve par le fondateur de CJMS, un dénommé Timmerman, je crois... Une superbe voiture de luxe au confort inégalé.
Vous l'avez compris: je suis un "Kaiserphile" inconditionnel! Si vous aimiez les KAISER comme je les aime, vous ne seriez pas ici à me lire. Vous seriez plutôt au volant d'une grosse MANHATTAN SUPER-CHARGED en train de dépasser cette longue CADILLAC aux chromes affriolants. Vous auriez sans doute une bonne longueur d'avance sur la CADDY, car il est bien connu que les KAISER ne s'en laissent pas imposer par les "trois grands" de Détroit, même en 1999!
Il y a quelques jolies KAISER au Québec. Celles de Monique Pelletier de Longueuil et aussi celle de notre ami Voyer de Québec. Elles se font de plus en plus rares. Il n'y a pas, à ma connaissance de KAISER MANHATTAN 1954 au VAQ. Pierre Marchand possède une jolie DARRIN que l'on voit de plus en plus rarement hélas...On me dit qu'il y aurait une autre KAISER de 1953 dans l'Outaouais, mais ceci reste à confirmer. Quant aux HENRY J, la dernière fois que j'en ai vu une, c'était dans une rue achalandée de La Havane: elle était chargée comme un mulet et ses feux arrière avaient été remplacés par des appendices de STUDEBAKER: la preuve qu'entre "indépendants" on s'entraide gaiement!
La KAISER-DARRIN fut la dernière voiture sport américaine créée de toutes pièces par le génial "Dutch" Darrin en 1954. Les caractéristiques principales de ce véhicule était les portes coulissantes, la ligne surbaissée, la petite calandre "en forme de cœur", son tableau de bord très moderne et son puissant moteur. Le prix de cette jolie sportive ? 3668$, soit un peu plus qu'une LINCOLN CAPRI ou une CADILLAC "62" de la même génération. La KAISER-DARRIN cessa d'être fabriquée lors de la fermeture des usines KAISER en 1955. Mais "DUTCH" DARRIN équipa quelques-unes de ses voitures de moteur V-8 CADILLAC après la faillite de KAISER. C'était de véritables "bombes" qui remportèrent plusieurs victoires sur les pistes de course californiennes! Elles pouvaient atteindre jusqu'à 140 MPH! Aujourd'hui, approximativement 300 KAISER DARRIN survivent encore. C'est un excellent témoignage à "DUTCH" DARRIN, son génial concepteur.